Et tu fais quoi dans la vie ?

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C’est LA question. Celle que l’on a tous entendue ou posée plusieurs fois. La question incontournable lorsqu’il s’agit d’engager une conversation.

 

Une question tout sauf... existentielle


Je n’aime pas la formulation. « Et tu fais quoi dans la vie ? » Eh bien… Je n’ai pas envie de répondre. Ou plus précisément, je n'ai pas envie de répondre si la question m'est posée alors que la rencontre vient à peine de se faire. Demandez-moi plutôt qui je suis. Mais pas ce que je fais dans la vie. Je n’aime pas cette façon de réduire l’existence de chacun(e) à ce qu’il (elle) accomplit - ou non - professionnellement.

article et tu fais quoi dans la vie escalier confidences VcommeSamedDéjà à vingt ans, je trouvais cette question incongrue. Déplacée.


Je me souviens d’une soirée où un garçon me l’avait posée. J’aurais pu lui répondre qu’après avoir échoué en prépa HEC - mais en beauté ! - j’étais à présent étudiante en économie et gestion à la Sorbonne. J’aurais pu.

J’aurais dû ?
Non.

Devant son air sérieux et son ton empreint de suffisance, je n’avais pu résister et lui avais rétorqué - avec un aplomb qui me surprend encore aujourd’hui - que j’étais chargée de l’entretien du bois des marches de la B.N.F. Voyant sa mine déconfite, j’en avais rajouté et le bellâtre n’avait à aucun moment douté de mes propos… qui avaient eu raison de son envie de poursuivre la conversation : il avait fui.
 
Quant à moi, par cet acte de « rébellion » je lui avais signifié mon envie de faire comprendre que je n’étais pas uniquement ce que je faisais. Encore aurait-il fallu que le pauvre garçon comprenne la supercherie… et donc qu'il s'intéresse à moi ! C'était insoluble.

article et tu fais quoi dans la vie craies confidences VcommeSamedi.jpgL’enseignement : une révélation


Quelques années - et une nouvelle orientation - plus tard (un virage à 180° !), j’étais établie professionnellement : j’enseignais, avec passion, à de jeunes enfants. Un soir, j’avais été invitée à une fête. J’avais vingt-sept ans. J’écoutais distraitement les conversations autour de moi. Il n’y avait que des pré-trentenaires entrés dans la vie active depuis peu. Ils parlaient surtout d’argent et des postes prestigieux - à leurs yeux - qu’ils avaient réussi à décrocher après de non moins prestigieuses études. Je m’ennuyais. Leurs échanges étaient superficiels. Ils ne portaient que sur leur profession. Aucun ne s’intéressait à l’autre. Ils ne se posaient des questions que par pure politesse ou pour qu’on les leur retourne, confirmant ainsi qu’ils étaient dignes d’intérêt. Les réponses ne leur importaient guère.

De nature discrète, je m’étais fait oublier ce soir-là : je n’avais rien en commun avec eux - et surtout pas ce besoin viscéral qu’avaient certains de se mettre en avant. Alors que je m’apprêtais à quitter les lieux, l’un d’entre eux avait finalement remarqué ma présence et osé me poser LA question. Même pas un « Comment tu t’appelles ? ». Non. C’eût été trop personnel. Trop impliquant. Juste : « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? ». Cinq ou six paires d’yeux m’avaient aussitôt fixée. « Mais qu’est-ce que ça peut te faire ? » avais-je eu envie de répondre. J’étais polie. Je savais tenir ma langue quand cela était nécessaire. J’avais songé un instant jouer la comédie, comme je l’avais fait quelques années plus tôt. Mais ce jour-là, je n’avais pas eu envie de tricher. Je n’ai jamais aimé tricher, d’ailleurs.

Leurs CV ô combien plus classiques - et donc plus respectables - que le mien, résonnaient à mes oreilles. Le mien n’était pas si mal. Mais j’avais volontairement passé sous silence - une fois de plus - les études « honorables » que j’avais faites et ne leur avais rapporté que le meilleur - le pire à leurs yeux : « Je suis Professeure des Ecoles. » Silence. Regards gênés. Raclements de gorge. Mépris.

 

article et tu fais quoi dans la vie main denfant confidences VcommeSamedi.jpgJ’adore ce que je fais. Mais surtout ce que je suis !


Avant de tourner les talons, je les avais regardés et j’avais ajouté avec un grand sourire : « Et j’adore ce que je fais. »

J’aurais pu ajouter : « Contrairement à vous, je n’ai pas d’obligation de résultats. Et pourtant, des résultats, j’en ai tous les jours : la reconnaissance que je lis dans le regard de mes élèves, l’intense satisfaction d’avoir donné ou redonné le goût d’apprendre et la confiance en soi, d’avoir œuvré pour le respect d’autrui et l’acceptation de chacun dans ses différences et dissonances, d’avoir transmis et de continuer à transmettre. » Oui, j’aurais pu leur dire tout cela. Mais à quoi bon ? Cela les aurait-il seulement intéressés ? Auraient-ils seulement compris ?

J’aurais pu dire que, malgré mon niveau d’étude, je ne gagnerai jamais autant qu’eux. Mais qu’en fait je serai à jamais plus riche qu’eux. Riche de ce que les enfants m’avaient appris et donné à leur tour, chaque jour. A commencer par l’humilité. L’importance de savoir se remettre constamment en question. La nécessité de ne jamais perdre espoir. L’envie d’aider.

Au lieu de tout cela, j’avais gardé mes pensées. Je les avais camouflées tout au fond de moi. Ils ne les méritaient pas. J’avais juste dit : « Et j’adore ce que je fais. ». J’aurais voulu hurler : « Mais surtout ce que je suis ! ». Ces mots-là non plus, ils ne les méritaient pas. Eux aussi, je les avais gardés pour moi.

 

Une histoire de confiance en soi ?


A la lecture de ces deux anecdotes, d’aucuns verront en moi une personne habitée par un profond complexe d’infériorité, aigrie de surcroît, pourquoi pas jalouse de la situation professionnelle d’autrui.

Tel n’a jamais été le cas.

Complexée : peut-être. Aigrie et jalouse : jamais. Effacée face à des personnes qui claironnent haut et fort combien elles ont réussi : assurément. Mal à l’aise face à des personnes qui se mettent tellement en valeur qu’elles en occultent les autres, voire les écrasent de leur suffisance et de leur certitude d’être tellement supérieures : indéniablement.

Alors que j’assumais mes choix de vie, que je me sentais en accord avec moi-même et m’épanouissais dans ce que je faisais, et donc dans ce que j’étais, LA question, du simple fait qu’elle était posée, avait suffi à m’agacer, et, insidieusement, à m’ébranler.

Pourquoi donc ? N’importe qui serait tenté de répondre : « Mais parce que tu manques cruellement de confiance en toi ! » Certes. Dit ainsi, cela paraît effectivement couler de source. Mais… non. Je ne peux me résoudre à me limiter à cette explication. Trop facile. Le manque de confiance est là, je ne peux le nier, mais en tant que résultante. Il n’est pas l’origine du malaise. Celle-ci est ailleurs.


Une histoire de valeurs et d’identité


J’ai cherché.

Longtemps.

J’ai fini par comprendre.

Le statut social et la situation professionnelle - quels qu’ils soient - d’une personne - quelle qu’elle soit - n’ont jamais été pour moi l’essentiel. Je dirais même que je n’y ai jamais accordé beaucoup d’importance. Je les perçois comme des états de fait. Et rien d’autre.

Ce qui en revanche a toujours compté pour moi, c’est QUI est chacun.e. QUI. Et rien d’autre. Ne pas m’arrêter aux apparences. Lire entre les lignes. Deviner la sensibilité de chaque personne. Comprendre ses envies, ses doutes, ses espoirs, ses peurs, ses goûts. Voilà tout ce qui m’a toujours importé. Voilà tout ce qui m’importe. Seul mon besoin d’authenticité, de sincérité, d’humilité et de simplicité dans les relations explique à quel point je suis déstabilisée dans un premier temps, agacée dans un second temps, par LA question : est-ce donc là la seule chose qui compte, savoir ce que je fais dans la vie ? La seule chose à même de me définir, de me percer à jour, de m’identifier et de me différencier ? Non.

En me posant LA question, on me signifiait à quel point on ne s’intéressait pas à moi pour ce que j’étais, on ne cherchait pas à en savoir plus. Je n’intéressais pas ceux qui m’avaient posé LA question. Seules l’image et la possible adéquation de cette image avec leur représentation de la relation sociale bienséante les préoccupaient.

Après quinze ans d’enseignement et avoir mis au monde mes trois enfants, j’avais décidé de changer de voie professionnelle. Non parce que je n’aimais pas ce que je faisais. Bien au contraire. J’adorais mon métier. Et mes élèves me le rendaient au centuple. Mais je ressentais le besoin de passer davantage de temps avec mes propres enfants. Un petit accident de parcours pour l’un d’entre eux - un diagnostic médical assez douloureux - m’a rappelé à quel point la vie est fragile. Qu’il faut la préserver. Et à ce moment de mon existence, l’envie d’être auprès des miens a été la plus forte. Tout en ayant en tête que je me construirais une autre vie professionnelle. Laquelle ? Je l’ignorais encore. L’urgence était de mettre en pause la première. De n’exister alors qu’en tant que mère.

L’écriture a repris une place qu’elle avait déjà occupée par le passé. A trente-huit ans, j’ai concrétisé mon envie d’écrire un ouvrage destiné à mes enfants, un récit dans lequel je raconterai les valeurs qui comptent pour moi.

Je m’épanouissais dans ma nouvelle vie.

Mais...

(pour lire la suite « Et tu fais quoi de tes journées ? », c'est ici !)


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